Marche sur le feu
Avant 1848, les Hindous de l'île de la Réunion étaient des esclaves, après l'abolition de l'esclavage, les engagés indiens vivaient dans des conditions de semi-esclavage, leurs cultes ont longtemps été diabolisés et interdits. Après 1848, le nombre de marches sur le feu à la Réunion a progressé parallèlement à celui des usines sucrières. Aujourd'hui, cette cérémonie religieuse indoue, originaire de la région du Talil Nadu, se pratique le dimanche ou les jours fériés, entre novembre et début février, et parfois en juillet -août. La marche sur le feu représente pour tous une cérémonie chargée de significations. Elle retrace l'histoire de la déesse Pandialee qui n'a pas hésité à braver les flammes pour prouver sa fidélité.
À l'image de leur déesse, chaque année des dizaines de fidèles des sapèl (chapelles) malbar font le voeu de marcher sur le feu ou de faire le tour du feu dans un but précis: expiation, action de grâce ou sacrifice propitiatoire. L'épreuve est précédée pour les pénitents par une période d'ascèse appelée karèm (carême), dont la durée est souvent de dix-huit jours, et pendant laquelle ils doivent se conformer à une série d'interdits, en particulier alimentaires, et vivre dans la chasteté. Ils doivent par ailleurs participer, au temple et aux abords du temple sous la direction du prêtre, depuis la cérémonie d'ouverture pendant laquelle on leur attache au poignet un kap (bracelet en cordelette jaune) qui marque leur engagement solennel jusqu'à la cérémonie finale de remerciements, à toutes les phases de reconstitution de l'histoire de leur déesse sous la forme de théâtre religieux (bal tamoul), zistoir (récits), jalonnés de cérémonies. Les épisodes les mieux connus sont ceux du mariaj bondié (mariage des dieux), de la mort d'Alvan Katapouli, du manjé Pakarsouli (repas de Pakarsoulin). Le mars dann fr (marche sur le feu), épisode majeur et spectaculaire de la fête, n'est qu'un moment d'un ensemble de cérémonies religieuses dont beaucoup de spectateurs avides de folklore, ne perçoivent bien souvent ni l'importance, ni la signification...
La traversée du brasier.
Préparation du tapis de braise et de cendre, un brasier de cinq à six mètres de long et de quatre mètres de large terminé par un petit bassin de lait qui rafraîchit les pieds après la traversée. Sur un geste du prêtre, l'entrée de la cour du temple est dégagée. La foule, agitée d'une houle violente, s'écarte à peine pour laisser passer les joueurs de tambours et les pénitents. La bousculade s'étend jusqu'à l'aire sacrée. Les enfants et les fidèles, jusqu'alors assis, commencent à se relever pour mieux voir, mais ils gênent ainsi les spectateurs rassemblés le long de la corde qui protestent aussitôt avec véhémence. Les femmes qui ont versé le lait dans le bassin entendent bien faire valoir leurs droits. Celles qui feront le tour du feu après l'ordalie se placent aux deux extrémités de la fosse, elles se tiennent debout devant le bassin, mains jointes au-dessus du front et crient le nom de Govinda; d'autres s'agenouillent pour prier; elles regardent approcher les marcheurs... Quelques fois, l'une d'elles entre en transe. Les joueurs de tambour viennent se poster à gauche du brasier.
Les marcheurs se rassemblent auprès du prêtre devant le feu, à mesure que les pénitents pénètrent sur l'aire sacrée, les gardiens du feu versent sur leur tête de grands seaux d'eau froide qu'ils puisent dans les bacs prévus à cet effet et situés près de l'entrée de l'aire sacrée.
La tradition veut que le prêtre soit le premier à traverser le feu. On lui verse un seau d'eau sur la tête, puis il s'approche du brasier...
Après une dernière parole pieuse, il ôte son collier de fleurs et le porte à son front ou lève les bras vers le ciel en signe d'adoration, puis le jette sur le tapis de braises: si le rite est accompli correctement, les fleurs doivent rester intactes. Les fidèles mains jointes devant la poitrine ou au-dessus du front, crient le nom de Govinda. Les tambours battent à tout rompre. Le prêtre pose le pied sur la braise... Il avance sur le feu et, le traversant par le milieu dans le sens longitudinal, il ouvre la voie pour les autres pénitents. Ses pieds s'enfoncent jusqu'aux chevilles dans le brasier, y laissant de gros trous sombres. L'instant est décisif: le comportement du prêtre influence celui des pénitents. S'il passe lentement, il leur redonne confiance. S'il court ou laisse entrevoir le moindre signe de brûlure, il peut semer en eux la panique. Il entre dans le bassin de lait dont le liquide bienfaisant soulage la plante de ses pieds. Puis, il est suivi par les autres pénitents. C'est d'abord le tour du danseur-possédé, puis celui des trois porteurs de karlon, priorité est accordée au satî-karlom consacré à Draupadi, viennent ensuite les porteurs de statuettes ou d'instruments de culte (sabre, sacrificatoire, trident,...). Ils sont suivis à leur tour par les autres marcheurs. Après avoir traversé la fosse et franchi le bassin de lait, tous les pénitents contournent le feu par la droite et reviennent à leur point de départ. En effet, la coutume veut que l'on traverse le brasier à trois reprises.
Lorsque les hommes ont cessé de marcher sur le feu, les femmes-pénitentes se rassemblent en cortège et, précédées des joueurs de tambours, effectuent une triple circumambulation du brasier dans le sens habituel de la pra-daksina. Certaines entrent alors en transe et se comportent comme des danseurs possédés. Lorsque les femmes font le tour du feu, elles s'arrêtent aux quatre coins de la fosse pour allumer des morceaux de camphre qu'elles déposent devant chacun des bouquets plantés en terre par le prêtre lors de la consécration de la fosse. La plupart d'entre elles s'arrêtent devant le bassin de lait, enduisent leur chevelure ou leur visage, leurs mains, leurs bras, leurs jambes jusqu'aux genoux ou à la naissance des cuisses, et leurs pieds. Presque toutes recueillent un peu de lait du bassin au creux de leur main droite et en absorbent, à trois reprises.
Le karlon est un gros vase en cuivre surmonté d'un cône de feuillage de lilas, orné de marlé (guirlandes de fleurs), que les pénitents portent sur leur tête. Pour une marche sur le feu, les karlons sont au nombre de trois: un jaune pour Pandialee, un blanc pour Maryamin et un rouge pour Kali.