À PROPOS...
Dans la toute première minute où j'ai commencé à surfer sur Ipernity (c'était le 20 mars 2009, le bébé Groupe des Arpenteurs avait quelques jours), j'ai rencontré cette photo. J'ai été saisi par ce graphisme, cette poésie, cette ambiance, ce regard, par l'histoire de ces deux personnes se croisant suspendues dans les airs, tout près des oiseaux. Par la finesse des branches, les boules de gui en dessous desquelles elles auraient pu se rencontrer, par toutes les histoires et les contes qui sont immédiatement remontés de mon enfance au premier regard sur cette photo, belle comme une image. Par la précision de la composition aussi: on n'imagine pas le passant ailleurs qu'au milieu du pont, ni le vélo plus à gauche, ni l'oiseau plus à droite. Par la symbolique de l'eau, du pont qui relie et qui sépare, de l'air, de l'oiseau seul comme un message. Un art tellement abouti que "le Passant qui passe" est tout de suite devenue, pour moi, LA personne à suivre...
Un immense merci à Sabine pour avoir accepté de se livrer si gentiment et si spontanément dans les lignes qui suivent...
Mon approche de la photographie est presque uniquement guidée par mes émotions du moment, ma sensibilité à fleur de peau y étant pour beaucoup. Bien sûr, la peinture, la littérature et le cinéma, influencent ma façon de "voir" une scène quand je l'ai dans mon objectif.
- Salvador Dali, Edward Hopper, Norman Rockwell, Mirò,...(pour la peinture).
- Arthur Rimbaud, Charles Baudelaire, Oscar Wilde, Alphonse de Lamartine,...(pour la littérature).
- Tim Burton, Emir Kusturica, Luc Besson, Martin Scosese,...(pour le cinéma).
- les photos de nuit de Brassaï, les noirs et blancs de Sebastiao Salgado, les scènes très zen et dépouillées de Michael Kenna ou le monde étrange de Rafael Minkkinen sont des références photographiques depuis longtemps.
Étant une grande maniaque en retouche, les points blancs et autres petites taches, même minuscules, me rendent dingue: je peux passer des heures à dégommer tout ça. Une fois repérée la pauvre tache ne peut plus rien pour sauver sa peau ! L'esthétisme d'une photo est une chose primordiale ainsi que le cadrage, qui doit être pensé avant le déclenchement. Une photographie, même techniquement imparfaite ou prise avec un appareil aussi simple qu'un Lomo (le parfait n'existant pas, mon mot est peut-être un peu fort) peut très bien plaire à mes yeux si ceux-ci et mon esprit y perçoivent une recherche artistique, un certain esthétisme, une émotion ou un ressenti.
En principe, j'essaie de cadrer mon image dés que mon regard est derrière l'oeilleton, ce qui évite d'avoir à gâcher du temps à se dire, une fois devant son écran d'ordinateur: "Et si je cadrais comme ça, ça ne serait pas mieux ?" "Mince, j'aurais du laisser plus d'espace ici !" "Dommage ce truc qui vient mordre la scène !" Le post-traitement est une séquence obligée pour n'importe quel photographe. Cartier-Bresson ne recadrait pas ? Mais il travaillait certainement ses images en chambre noire pour leur donner le cachet qu'il se doit. Personnellement, je me fiche complètement de savoir si telle ou telle image a été très ou peu travaillée. Comme je l'ai dit plus haut, seules les émotions et les ressentis que je peux avoir en tant que "spectatrice" m'intéressent. Par contre, une image post-traitée doit l'être avec soin, il faut savoir s'arrêter à temps pour ne pas en faire trop.
Effectivement, il choisissait soigneusement son labo, son papier et participait activement au tirage. Au moment de déclencher, restes-tu concentrée sur ce que tu vois, l'esprit libre, ou bien est-ce que tu te préoccupes beaucoup des paramètres techniques (vitesse, ISO, profondeur de champs, lumière,...) ? Comment gères-tu la nécessaire implication de la technique et le fait qu'elle empiète sur la liberté de voir ?
Très très concentrée. Je ne me préoccupe que de ce que j'ai dans le viseur et de ce que mon second oeil (que je garde ouvert lui aussi pour pouvoir capter ce qui se passe hors du champ de l'objectif) aperçoit en même temps. Selon mon éloignement du sujet ou selon ce que je veux faire ressortir avec la photo finale, je travaille principalement sur l'ouverture. Mais en général, je ne me soucie guère des paramètres techniques et des ISO. Sauf en photo de nuit, là, trépied obligatoire, mise au point très précise, profondeur de champs maximum, de la musique sur les oreilles et...beaucoup de patience en attendant la fin du déclenchement. On ne dirait pas mais 30 secondes à attendre, c'est long ! Et JAMAIS au grand jamais, je n'utilise de flash, ce truc m'énerve grandement. Pourtant, il permet de travailler plus simplement quelques fois.
Les photos que tu partages sont soit des repiques d'épreuves argentiques soit des numériques d'origine; est-ce exact ? Quel matériel utilises-tu ?
Mon matériel est composé d'un boîtier Canon AV-1 et d'un Minolta SRT101 (argentiques), avec des objectifs allant du 35mm au 1000mm à miroirs. J'avais un Minolta Dynax 7000i avec trois objectifs: un 35-80mm, un 100-300mm et un 500mm à miroirs. Cet appareil ayant subit...comment dirais-je...une avarie sérieuse en eau de mer, je n'ai gardé que les objectifs. Je ne suis passée au numérique que très récemment, en janvier 2007, avec l'achat d'un Sony Alpha 100 muni d'un objectif 18-70mm macro et d'un trépied. Un choix sur cette marque pour pouvoir utiliser mes anciens objectifs Minolta ou autres. Je lui ai acheté un frère jumeau en 2008, pour éviter de changer d'objectifs à tour de main dans des situations qui ne permettent pas la lenteur d'exécution.
(J'ai depuis remplacé ces deux boîtiers par deux Sony Alpha 700, chacun avec grip batteries et j'ai également ajouté à ma gamme un objectif 18-270mm stabilisé).
Il s'agit de ce diptyque composé de deux photos prises avec environ deux ans d'écart, toutes deux argentiques.
Celle du haut, dans un zoo en Suisse. Ce lion se trouvait allongé très près de la vitre qui me séparait de lui. Une impression de pouvoir le toucher du bout des doigts. Un long moment à chercher son regard, deux-trois déclenchements et soudain, le voilà qui me fixe. Je déclenche...
La photo mise en boîte (ne sachant évidemment pas ce qu'elle donnerait une fois le négatif révélé), je baisse mon appareil et cet instant de magie les yeux dans les yeux continue, il me suit du regard, plonge le sien au plus profond de mon être, me sonde il me semble. Une lassitude et de la souffrance je ressens, ça me chamboule parce que j'ai l'impression que c'est exactement ce qu'il perçoit dans mon propre regard... Deux êtres enfermés, qui ne se disent mot, qui se parlent juste avec les yeux...
Celle du bas, une après-midi dans la chambre de cette jeune fille trisomique qui m'a tant apporté durant les sept années que j'ai passées à m'occuper d'elle. J'avais décidé de lui "tirer le portrait" ce jour-là. Elle a pris cette séance comme un jeu, un défouloir à sa maladie.
Très agitée et difficile a été cette série de trente-six poses. À un moment donné, lassée, sans doute fatiguée, elle se couche par terre sur la moquette. Je fais de même, toujours l'appareil à la main. Et là, exactement comme le lion, elle pose elle aussi son regard sur le bout de mon objectif, comme pour me dire quelque chose...
À cet instant précis, le lion et son regard pénétrant me sont revenus à l'esprit... Je déclenche...le diptyque était né.
Merci infiniment, Sabine, pour ce moment riche et émouvant passé avec toi.
Merci à vous, administrateurs des Arpenteurs, pour m'avoir donné la parole: je le prends comme un très beau compliment.